Monet, le baryton et le lever de soleil à Vétheuil

Il y avait en 1873, un baryton de l’Opéra dénommé Faure qui se piquait d’être découvreur de talents et s’était entiché de la nouvelle école impressionniste car elle lui permettait d’acquérir à bon compte des tableaux. Il ne connaissait rien à l’art mais avait envie de faire parler de lui.


Monet lui proposa un tableau intitulé « lever de soleil à Vétheuil » que l’amateur aurait pu acquérir pour la somme très modeste de 50 francs de l’époque. Mais ce dernier lui fit le commentaire suivant :

« ... Si j’achète vos tableaux sans marchander, c’est pour la peinture. Ici il n’y a pas de peinture. Vous avez oublié évidemment. Rien que de la toile, ce n’est pas assez. Remportez-moi ça. Mettez-y de la peinture et je l’achèterai peut-être. Vous voyez que je suis bon garçon, hein ? Au fait, maintenant vous pouvez bien me le dire. Qu’est-ce que vous croyez que cela représente ? »

Monet lui expliqua donc que ce tableau représentait le lever du soleil sur Vétheuil. Il était alors dans son petit canot attendant le lever et quand la lumière parut, il a peint ce qu’il voyait.

Et le baryton insista lourdement :

« …On ne voit pas très bien . Mais c’est la faute du brouillard, n’est-ce-pas ? Tout de même, il n’y a pas assez de peinture. Mettez un peu plus de peinture, et je suis bien capable d’acheter le tableau ».

Et Monet est rentré chez lui avec le tableau. Six ans après, en 1879, alors que la réputation de Monet ne faisait que grandir, le même baryton qui était en quête de nouvelles acquisitions visita l’atelier de Monet et se dirigea vers un tableau posé sur le chevalet.

« Ah, vous avez là une assez jolie chose, cher ami. Une brume de clarté. L’église, les tourelles, les pavillons, les corniches de blancheurs qui percent la nuée… le village, qu’on ne voit pas, se reflète dans le fleuve … En voulez-vous six cents francs ? »

Et la réponse de Monet a fusé :

« Vous avez donc oublié que vous m’en avez refusé 50 francs, il y a six ans. Eh bien, aujourd’hui, je vais vous dire une chose. Non seulement vous ne l’aurez pas pour 50 francs, ni pour 600 francs, mais si vous m’en offriez 50 000 francs, vous ne l’auriez pas davantage ».

Et l’artiste n’a jamais accepté de se défaire de son tableau. Il avait alors 33 ans. Plus tard, il l’accrocha dans son atelier de Giverny.

Cette anecdote a été racontée par le grand ami de Claude Monet, Georges Clémenceau. Quant au tableau, il s’agit de « Vétheuil dans le brouillard » (Musée Marmottan) qui illustre cet article.

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